RP T34 - Port-Réal, une discussion de taverne

L’air est moite de sueur dans cette taverne, qui depuis peu est devenu le repaire d’une bande dépareillée de soudards et de marins venus des quatre coins du Royaume. On s’y exprime par grognement et éclat de voix étouffé autour d’un pichet de bière ou de mauvais vin, et dans un coin de la pièce trois hommes jouent aux dés.

Là, un costaud à l’air barbouze sonde ses camarades, ses gros doigts serrés autour de son gobelet de fer. Il lâche d’une voix rauque :

– Quatre cinq.

– Menteur.

Le bonhomme, contrarié, dévisage son voisin en fronçant ses sourcils. Il voit qu’un sourire narquois barre sa barbe bleue délavée, de laquelle ressorte des poils d’un noir de jais. Avec un soupir, il retourne le gobelet. Les dés affichent un trois, deux six, trois cinq.

– Putain encore perdu, grogne le grognard. Je suis sûr que tu triches.

À l’autre bout de la taverne quelqu’un commence à beugler une chanson.




– C’est ce qu’on apprend aux gamins chez moi, répond l’autre en retirant un de ses dés. Mais à ce jeu c’est difficile.  À mon tour : deux un.

Le trio recommence leur jeu en silence. Derrière eux, quelques voix supplémentaires entonnent le refrain.



– Paraît que les Bieffois ont un plan battre Volantis, dit d’un coup le troisième homme.

C’est un jeune marin à la belle gueule barrée d’une balafre immonde. Ses traits sont fermés, et son ton monocorde. L’homme d’arme crache une glaire méprisante à ces mots, qui vient s’écraser au sol avec un bruit humide.

– N’importe quoi. Ces cul-terreux s’imaginent qu’ils sont meilleurs que nous parce que leurs putains de chef ont gagné des putains de titres, mais ils ont aucune putain d’idée de ce qui les attend en face. J’aurai bien aimé les voir à Myrth ou à Lamarck ces petits cons, ils auraient clamsé tout aussi bien que nous.

– Tu parles, ils ont attendus qu’on se prenne une branlée avant de se pointer à la rescousse, renchérit le spadassin. Ils ne voulaient juste pas que ce soient nous qui ayons le mérite, ils n’en ont rien à battre de Tyrosh. Rh’llor les maudissent.

De longues secondes hargneuses passent, sans que l’on entende autre chose que la chanson, reprise par de plus en plus de clients.




– Les Bieffois nous on les bouffe, reprend le guerrier. Comme au jugement. Ha ! Ils ont tâté de d’notre champion ces fils de putes.

– C’est surtout le Bâtard qui les a eus, rectifie machinalement le balafré. Avec le Swann et le Sarchamps.

– Ouais, mais est-ce qu’on a vu Bracken y aller aux poings après avoir foutu son épée en travers d’un cheval ? J’crois pas non, faut être taré pour le faire. Ça il y a que l’Tyrek pour le faire.




– Il fait quand même peur ce type, lâche le Tyroshi. Vous avez vu sa tête ? J’suis même pas sûr que ça soit une tête d’homme ça. Je vous le dis, il est mort à Myrth, et c’est un démon de la mer qui a pris possession de son corps.

Le marin défiguré fixe le spadassin de ses yeux vides.

– On est tous un peu mort à Myrth.

La sentence est implacable. Le chant lui emplit l’air, résonnant intensément à mesure que la salle entière l’entonne, ivrognes comme soldats, Tyroshis comme Sombrevalois et Ouestiens.




Soudain les larges épaules du vétéran tressautent alors que sa gorge rugit d’un rire gras.

– A la bonne heure camarade, nous voilà comme le fou furieux qui nous sers d’commandant ! Douze ans que j’suis dans la marine de Port-Lannis, et de tous les capitaines que j’ai connus j’préfère encore ressembler à celui-là.  Laissons-les donc se foutre de notre sale gueule, on a trompé la mort par deux fois et on recommencera. Et j’vous l’dis, ça rigolera moins à Volantis quand on viendra buter leurs sorciers à coups de paluches dans l’groin. A la santé du Spectre et d’ses gars !