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 Ballades de Port-Réal

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Maitre Chêne
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Maitre Chêne


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MessageSujet: Ballades de Port-Réal    Ballades de Port-Réal  Icon_minitimeSam 21 Mar - 14:31

Première ballade ; Rimes de défaite


Deux hommes buvaient avec une nonchalance discrète et aimable, à une table d’un bouge de bas-étage, dont ils se trouvaient pour leur part sur la terrasse intérieure. En vue plongeante, le spectacle désolant du rez-de-chaussée avait capté une part de la fameuse défaite que les flottes de Tyrosh et Port-Lannis avaient subies en mer de Myrth ; les grands seigneurs en avaient capté le tragique, les morts et les capturés la misère, les veuves le chagrin, et la bande de marins traumatisés et de soudards dépités, eux, se réservaient la part la plus affligeante : rage de dent, grosse contrariété et beaucoup d’alcool.

Pour ainsi dire, l’auberge était envahie de la soldure Lannister, qui, fraîchement débarquée sur le port, s’était ruée vers la Gadoue. Les plus nobles couvriraient leur défaite par de grosses dépenses ou des mensonges éhontés, car ils ont l’art de dissimuler la réalité à ceux moins bien nés qu’eux ; les petites gens qui composaient le gros de leur marine et de leur infanterie, présentement, se trouvaient ici. Mais on voyait, dans cette masse, quelques belles gueules, pas plus d’une ou deux par tables. Officier de bord, fils de bourgeois engagé auprès d’un bon capitaine, chevalier en manque de réputation, et même un ou deux vrai sang noble, trainaient avec la racaille pour se l’attacher, ou par goût de la mauvaise bière, qu’on servait ici avec profusion.

A vrai dire, il ne faut pas être trop cruel avec cet établissement, qui sert quand même un ou deux bons vins, et une viande pas trop mauvaise. Le patron parle couramment le Braavien, et sait donc garder quelques secrets ; les serveuses sont d’anciennes putains, qui savent faire la risette, et esquivent sans trop de mal les mains baladeuses, quitte à filer un coup de cruche aux inopportuns. Et la matrone, une grande femme à l’intelligence vive et le don de la phrase chaleureuse, s’était attirée l’amitié de trois bandes de gens d’armes Tully, qui vivaient Rue Croche, comme escorte depuis deux ans déjà d’Alice Tully. Ils avaient fait de ce lieu, si proche du Donjon Rouge et de la Place Poissarde, leur place-forte, et ne manquaient pas de signifier leur présence par une attitude gueularde.

Arrivant dans le lieu déjà comble de piétaille, ils affectèrent de ne rien voir et se mirent bien en vue au milieu, refusant de céder le pas à la bande qui occupait leur lieu de débauche à eux, et, lâchant une ou deux blagues sur les remontées saumâtres que provoquaient les marins, se firent un devoir de boire plus sinon moins bien encore que le reste des soudures. L’ivresse aidant et la morosité étant contagieuse, ils avaient au final fini par réellement cesser de se soucier de ce qu’il y avait autour, et jouaient à quelques jeux d’argent.

Nos deux hommes, eux, observaient avec la satisfaction de l’homme lucide une trame invisible de la pièce bondée, c’est à dire les lignes de force se dégageant d’un joli chanteur, qui, d’un air innocent, posait soigneusement les pièces d’une belle plaisanterie.

Mais il faut d’abord en dire plus sur nos deux hommes ; vêtus de gris et affectant par d’amples vêtements de se confondre, leur gabarit n’a rien de similaire. Le premier a le corps noueux et sec d’un paysan, et son visage ne masque pas son âge, car sa peau arbore quelque chose d’une racine sévère, effritée par le temps à la manière de ces vieilles pages jaunies qu’on dégotte au fond des bibliothèques de nobles mal lettrés. La comparaison se vaut, car, sous ses vêtements, on aperçoit une robe blanche salie par la route, et on devine le pendentif à sept face. Son regard ridé et fatigué associé à ses mains lourdes semblables à du cuir, témoigne de l’anormal passage du paysan au septon.

L’autre homme, lui, est d’un moule plus fin mais moins subtil, car si il n’arbore par le passage du temps et ne dévoile aucune ambiguïté susceptible de le rendre plus curieux, il est d’une race plus rare et plus pure, celle des maudits, des égorgeurs, des bandits de grand chemin parvenu, ceux qui ont l’art de tuer avec les mains propres. Celles ci sont d’ailleurs solides mais lisses comme la pierre, et son regard a la pureté sombre de l’eau vive qui coule dans les hauteurs des montagnes. Pour en dire plus, il faut s’approcher de l’homme, et son regard de mauvais garçon, farce que peuvent se permettre ceux qui savent être aussi dangereux qu’ils pensent l’être, fait deviner la présence d’une arme à sa ceinture, décourageant ainsi de s’approcher plus que de raison. Car si les hommes les plus curieux se lisent comme un livre ouvert, et se croisent sur des chemins de tout genre, ceux qui s’attachent à la question du pouvoir, par le fer ou la noblesse, développent toujours des dons pour préserver leurs secrets. Et si un noble emploiera d’habiles paroles et de subtils masques, le ruffian, lui, à défaut d’avoir d’un peu d’éloquence ou de quelques mots judicieux, pourra toujours requérir l’assistance de son surin pour vous dissuader d’insister.


La harpe jouait un jeu d’attaque et de défense, pour ainsi dire. Le rhapsode avait une tenue d’une qualité qui ne trompait pas, et une moustache teinte en verte, le ridicule atténuant l’impression de malignité que ses yeux donnaient à tout instant. Sa main glissait sur l’instrument avec une habilité hors du commun, et ses paroles mélodieuses tiraient les alcooliques, par à-coup, de leur fatigue assommée.

Mais si certains étaient tirés de leur torpeur par la douceur argentée de l’instrument, d’autres sentaient le piquant des paroles, et celui-ci, au rythme auquel les regards se tournaient vers la scène, allait crescendo.

Sur la douzaine de tables en bas, une ou deux seulement, dans les coins, ne donnaient pas sur la petite scène aménagée. Si d’ordinaire dans les belles auberges on pouvait trouver, généralement en face du comptoir ou à l’étage, un petit plancher surélevé pour accueillir les musiciens, la plupart des établissements se contentaient de fournir une table bien placée aux baladins, qui recevaient chambre et pitance en échange de l’égaiement qu’ils produisaient.

Comme le curieux rhapsode, ici, avait quelques talents, on avait collé quatre tables, sur lesquelles on avait disposé un tabouret, lui donnant une vue plongeante sur la salle. Nos deux amis, de leur perchoir, où ils étaient seuls exceptés quelques artisans et un gras marchand venu avec ses deux fils, avaient donc une vue directe sur le musicien, et sur les tables qui séparaient celui ci du comptoir, situé juste en dessous de l’étage.

Sa voix s’envola dans une nouvelle attaque, plus perçante encore ;

Je m’en vais de par la ville
Pour y voir mes amies
Mes amies, toutes les filles
Qui ont pour moi les larmes aux yeux
Ainsi que ma bonne amie
Qui pleure pour son amoureux

Les premiers vers suffirent à attirer quelques regards de plus. Les précédentes chansons entraient moins dans le vif, on en convenait là haut ; elles attaquaient par des versants secrets et des villages perdus, mais n’ouvraient pas le bal. La marine et le triste départ ; c’était ici engagé

Nous sommes cinq à l’Ouest qui embarquent
Tous les cinq bien en armes
Hale-ta-patte et Fend-la-Vague
Crache-au-Vent et Sans-Quartier
Et moi qui me nomme la Tempête
Je suis gabier renommé

Mon grand-père faisait la pêche
Mon père était chevalier
Mes quatre frères font la course
Pour aller chasser le Myrien
Et moi qui me nomme la Tempête
Je suis gabier renommé

L’heure convenait bien aux vers envolés, il faut croire, et celles ci, prononcées lentement et chaudement, avaient définitivement captivé la soudure Lannister, tandis que les gens d’armes Tully, eux, rigolaient à voix basse. L’ivresse faisait bouclier des plaisanteries, et les hommes s’attendaient sans nul doute à quelques paroles réconfortantes.

Là haut, le septon pouffa de rire, d’une manière bien grossière pour un homme qu’on pouvait juger si curieux, et son compagnon lui envoya un regard bizarre. Lui aussi comprenait ce qu’il se jouait, mais n’avait pas les repères. Le coup d’oeil intrigué qu’il envoya à son compère suffit à se faire comprendre, et celui ci, d’une voix caverneuse, lui répondit à voix basse ;

- C’est une chanson de fête, mais il la rend moins chantante. Il va sans nul doute se gausser de nos amis d’en bas ; après tout, c’est un registre paysan, et avec l’acerbe des Cités Libres.

Spadassin et septon se tournèrent vers le rhapsode à la moustache verte, dont la gestuelle devenait de plus en plus caricaturale. Il avait a présent la tête allongée sur l’épaule et les yeux à moitié fermés, dans une pose très convenue de baladin sans talent. On sentait qu’il allait enchaîner plus lentement encore, sur quelques odes à la bravoure. Mais le rythme décolla, à la manière d’une lame qu’on dégaine ;

Nous aurons pour récompense
Quelques haches de bronze
Qui nous briseront la tête
Et nous tuerons sans façon
Et nous servirons de bouette
De nourriture aux poissons

Et reprit plus fort encore, profitant de la surprise des auditeurs ;

Et ma femme éplorée
Epousera chevalier
D’une plus belle renommée
Du Trident ou de l’Oeildieu
Car j’ai eu pour récompense
Quelques tirs de scorpions

Mon brave père a coulé
Mes frères se font chasser
Quittant Myrth en grande course
Pour s’être fait briser la tête
Et moi qui me nomme la Tempête
Je suis désormais gueule cassée !

La dernière envolée sidéra l’assistance, et on aurait pu rester là, blancs comme des linges, pendant quelques minutes, si l’aubergiste n’avait pas fait chuter sa cruche ; et un gros sergent Lychester, attablé avec les gens du Conflans, lâcha un rire gras incontrôlable. Malgré les regards enragés, qu’ils se partageaient avec le baladin, la soldure Tully, malgré les réprimandes d’un chevalier aux épaules carrées, se tordit d’un rire poivrot qui fit trembler les murs de la salle ; la dizaine de sergents et écuyers, ainsi qu’un des trois chevaliers, abreuvée de la chansonnette. Les hommes de l’Ouest sidérés, plus ivrognes encore, dissipaient leur fièvre alcoolique à l’aide d’une colère noire qui ne tarderait pas à éclater.

Le septon avait lâché un rire plus subtil en entendant les derniers vers, tandis que son voisin de table arborait un petit sourire, et que, à sa droite, le marchand commençait à compter ses pièces, dans l’espoir de quitter l’endroit au plus vide ; ce qui décevait les attentes de ses deux fils.

Il enchaîna de sa voix grave ;

- La musique était ma spécialité ; c’est la tienne qui mène la prochaine danse. Qu’en dis tu ?

Le spadassin soupesa l’atmosphère, se donnant l’air de réfléchir à une question qu’il n’avait pas manqué de se poser avant cela.

- Eh bien, les gens de l’Ouest sont plus nombreux, et même si les nobles auront bien peu de plaisir à barouder après autant de vin, les marins ne sont pas moins efficace à la bagarre quand ils ont bu. De plus, ils ont la haine de la défaite, et il ne faut pas chercher de noises à un soldat sur la retraite ; il est toujours plus soupçonneux et agressif. Mais les gars en face sont costauds et mieux armés, donc je dirais…. Avantage aux rouges jusqu’à que les bleus dégainent.

En bas, le chevalier Tully avait implicitement gagné l’aide d’un second et de deux sergents blondinets pour calmer la scène, lançant de grands appels au calme et à l’autorité, tandis que l’aubergiste trouillard se dépêchait de ramasser les cruches, constatant que tout le monde était armé. Les gens d’armes des deux camps, quand ils pouvaient tenir sur leurs deux pattes ; un ou deux s’écroula en tentant de se lever ; s’abreuvaient d’insulte comme de mauvaise bière, dont de généreuses lampées gagnaient le sol. Un vieil écuyer grisonnant à la carrure gaillarde acheva son pichet avant de se lever, et notre spadassin jugea qu’il s’agissait du plus dangereux des deux bandes.

Alors que quelques uns semblaient revenir à la raison, et que le chanteur avait déjà filé en esquivant un ou deux jets de cruches, un gobelet de vin jaillit de la masse de marins pour rebondir sur le torse du chevalier, maculant son tabard. Celui ci lâcha un juron, et un gros gabier lui répondit par un « Bouffon de poiscaille ! ». La partie allait elle s’engager ? Le chevalier avait une mauvaise trogne mais se contenait, mais, grave erreur, le gabier surenchérit « Retourne à Vivesaigue, te pignoler sur tes Sire à la noix ! ». L’écuyer lâcha un « Il insulte le Sire Harwyn ! » de manière outrée, et ce fut, après une courte mais déjà trop longue attente, la rixe tant attendue.

Le ballet de coups de poings, pieds, cruches, et même genoux et broignes – on reconnaissait les experts – se jouait au milieu d’une forte rencontre d’épaules et de torses, dont le choc alla avec grand renfort de cris tonitruants, d’exclamations et d’insultes. Un ou deux quolibets fusaient des observateurs – moins nombreux que les combattants. On constatait que si la piétaille était plus lourdement équipée, la marine était plus lourdement bâtie, et plus habile aux exercices de la sorte ; mais également qu’en toute chose, un chevalier n’a pas d’égal au combat, et ainsi, le grand escogriffe Lannister et le puissant homme-lige Tully qui auparavant on voyait calmer la foule, distribuaient des torgnoles semblables à des coups de haches, et finirent par se saisir mutuellement pour tomber au sol.

Cela priva de la mêlée deux fines lames, car aussitôt après, un gabier Lannister voulu écraser de son pied le crâne du chevalier Tully au sol, et, pour l’en empêcher, l’écuyer cité tout à l’heure lui dagua la cuisse. Le sang avait coulé, et le Guet ne tarderait pas à intervenir ; aussi les deux comparses s’enfuirent par la porte de derrière.


L’allée sombre baignait d’un clair de lune agréable, semblable dans l’allure aux doux rayons de soleil que le royaume connaissait encore dans ces journées d’automne, mais traitreux, car c’était une fraîcheur glaciale en lieu et place des chaleurs timides qui baignait la rue. Les effluves de Port-Réal étaient parmi les moins agréables qui soient, aussi les deux silhouettes grises se dirigèrent promptement vers leur demeure, sous la colline de Visenya.

Dans ce genre de moments agréables et empressés, ou la pureté de l’atmosphère – si l’on fait exception des odeurs – rejoint la beauté de l’instant, les petits silences sont plaisants, quand l’on est en bonne compagnie. Puis, il faut trouver le moment de parler.

Notre septon dit d’une voix claire ;

- C’est un avant-goût formidable. Je me demande si la Cour sera aussi agitée. D’ordinaire, les gueux et les soldats ont un comportement de la sorte, mais les propos qu’ils tiennent sont l’écume des décisions qu’on prend en haut.

La figure pesante du Donjon Rouge vibrait à cet appel.

Son camarade lui répondit.

- Les vents de la défaite n’ont pas été trop funestes pour les gens de l’Ouest. Mais assurément, le parti du Sire de Castral-Roc tout entier réuni dans cette ville causera plus d’un souci ; quoique je pense que cet incident avec les Riverains n’est qu’un malheureux hasard. Il y a bien plus d’une personne à la Cour qui conçoit cette guerre comme pleine d’opportunités. Dans la défaite comme la victoire, et également dans la préparation de l’un ou de l’autre, chacun trouvera son mot à dire, et bougera ses pions. Nous en sommes le vivant témoignage, après tout…

Leur allure de secret s’engouffra dans une ruelle, dont l’on ne doutait pas qu’il s’y tramait quelques sordides affaires ; qui n’allaient pas tarder, dès que le jour reviendrait, à retourner en ville, ou en d’autres lieux, pour y constater l’état des affaires du royaume.
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MessageSujet: Re: Ballades de Port-Réal    Ballades de Port-Réal  Icon_minitimeVen 10 Avr - 13:28

Deuxième ballade ; Les yeux de la Cour. Partie 1/2 : rencontre avec le Maître des Chuchoteurs

«  Quel est l’intérêt, mon fils, de vivre à une chevauchée de la capitale, si c’est pour rester dans son château et y pourrir ? »

Telle était la phrase fétiche de mon père, répétée à souhait lors de fréquentes allées et venues à Port-Réal, et sur laquelle s’était forgée une bonne part de mon éducation. Après avoir appris le maniement des armes, j’avais appris celui des mots, et m’habituais à la vie courtisane au fur et à mesure des visites. Je ne participais guère aux intrigues, trop jeune encore, mais j’accompagnais mon père et observais la vie à la Cour, ce qui me permettait en outre de profiter de ce lieu fantastique qu’était la ville des Targaryens. Bien qu’on y parvienne  en une journée à cheval, rien n’était semblable : des senteurs venues de toute part se promenaient dans les rues ; on y entendait régulièrement des langues différentes qui jactaient entre elles près du port ; et des bâtiments qui n’avaient pas leur pareille trônaient le long des avenues pleines de citadins.
Je pourrais décrire ces lieux pendant des heures ; mais plus que leur magnificence, c’était la vie qui les animait qui forçait l’admiration. Et tout cela n’était rien encore comparé à l’agitation permanente qui rôdait dans les galeries royales. Toujours une partie de chasse, toujours un repas, toujours des échanges avec tel ou tel personnage dont vous ne saviez encore le nom mais dont vous captiez l’aura de pouvoir… Une vraie fourmilière.

Et aujourd’hui, c’était à croire que quelque chose l’avait secouée, la fourmilière.  Malgré tous mes passages, je n’avais jamais vu tant de nobles  –deux fois plus qu’à l’accoutumée ; accompagnés de leur lot d’épée-liges, spadassins et autre soldure robuste.

Je comprenais enfin l’insistance de mon père à rester plus longtemps : les négociations avec Dorne attiraient énormément de monde, mais un air d’intrigue et de manigance flottait sous la surface de ces cérémonies.

« Nous devrons rester à l’écart de toutes ces manipulations, mais il est vital que tu sois témoin des évènements d’aujourd’hui pour pouvoir agir dans ceux qui auront lieu d’ici quelques années. Savoir, c’est pouvoir. »
Après le renouveau de ce sermon, nous avions disposé nos biens dans un hôtel de la ville. Une partie de chasse avait été organisée par l’un des conseillers, pour passer le temps en attendant que tous les lords arrivent. Le pied du Donjon Rouge avait été donné comme lieu de rendez-vous.

Une fois là-bas, je reconnus plusieurs grands chevaliers et nobles des terres du Conflans et de l’Ouest ainsi que d’autres personnages aux costumes plus exotiques que je ne connaissais pas. Pendant quelque temps, ils échangèrent tous entre eux, qui de vieux amis, qui de fraîches connaissances. Puis l’attention de tout ce monde fut captée par le personnage qui venait de franchir la porte du Donjon, tranchant avec la petite assemblée par sa stature et sa présence.

Vraiment, Aegor Bracken n’avait à priori rien d’un Maître Espion. D’une taille très haute, les épaules larges comme celles d’un bœuf, un long espadon et son fourreau à la taille ;  l’homme  semblait plus propice à s’occuper des affaires de la guerre qu’aux intrigues du royaume. Il portait en bandoulière un arc long du Conflans, ainsi qu’un carquois de cuir rempli de flèches le long de sa jambe droite, et les quelques hommes d’armes  qui lui emboîtaient le pas n’avaient pas la trogne de plaisantins. Vêtu d’un pourpoint de cuir simple, avec pour seules touches de couleur ses manches aux rayures bleu- argenté, il n’était pas non plus aux sommets de la parure ou de l’ostentatoire et ne laissait pas deviner  sa place éminente de porte-parole du Roi. Rajoutez à cela des longs cheveux auburn d’aventurier, une barbe noire acérée qui lui mangeait la  mâchoire et un nez qu’on aurait dit plus apte à humer les vents marins qu’à flairer les complots ; et vous aviez là le conseiller le plus atypique qu’il vous sera donné de voir de votre vie
Pourtant, à peine la conversation engagée, voilà qu’il vous parlait franchement, vous regardant droit dans les yeux avec un sourire blanc souligné par son bouc noir. Ses manières étaient de celles qui suivaient son bon vouloir, il n’allait pas par quatre chemins, et quand bien même vous ne l’aviez jamais vu, vous finissiez par parler sans recul, comme si ce bougre d’âne vous connaissait depuis longtemps déjà. En somme, vous êtes déjà pris. Des manières qui ne plaisaient pas à tous, mais qu’il agrémentait au gré de ses interlocuteurs, gardant avec tous une mesure constante, mais voguant d’un trait de caractère à l’autre selon les dispositions ;  et toujours, il touchait juste.

Il suffisait de voir l’aspect hétérogène que formait le groupe qui l’entourait. Bien que l’on pourrait souligner d’un premier coup d’œil une forte présence de ses alliés proches, à savoir d’autres lords du conflans- notamment ceux partisans de Lianne Tully- et des vassaux de l’Ouest ; n’importe qui aurait remarqué également la présence de figures d’Essos, quelques riches nobles ou marchands rencontré à la suite d’affaire ou de voyage.

Rien n’était strictement établi à la Cour, toutes vos relations fluctuaient et vivaient au jour le jour, et autour du Maître des Chuchoteurs se construisait un parfait exemple.
J’en vins même à apercevoir Harrold Grell, fameux guerrier d’une petite maison pourtant vassale de l’ennemi héréditaire des Bracken , adossé un peu à l’écart. La brute affûtait méticuleusement un coutelas, en vue de dépecer une frêle venaison sans doute. Une énorme hache à double tranchant accoudée aux pierres couleur rouille du Donjon siègait à ses côtés. L’idée qu’un tel outil pouvait être utilisé sur un champ de bataille ou même en duel me glaçait le sang.

Alors que j’étais plongé dans cette réflexion, une main se posa sur mon épaule. Ou plutôt, elle la recouvrit, et je crus même perdre l’équilibre. Je me retournai, et dû lever la tête pour recevoir le regard pétillant d’ Aegor Bracken.

« Hé bien, jeune Chyttering, est –ce la trogne de notre Traqueur qui vous fascine à ce point ?

-Il n’est pas encore seigneur, messire, intervint mon père

-Sans doute, mais après plusieurs années passes à observer la Cour, on ne peut douter du potentiel de ses capacités à gérer un domaine. Vous avez déjà un regard plein d’intelligence, et c’est quelque chose que je recommande fortement, que de préparer avant l’âge requis ses enfants aux taches qu’ils hériteront de nous. »

Je vis mon père lever le menton en inspirant, pour ne pas montrer l’effet de la flatterie à son encontre.  Moi, j’eus bien du mal à ne pas rougir, mais une espèce de fierté se faisait entendre au fond de ma poitrine.
« D’ailleurs, en tant que plus jeune membre de notre troupe, il vous faudra bien tirer plusieurs traits ; mais je ne vois pas votre arc.

-Non à vrai dire je tire plutôt bien, mais nous pensions juste assister à la chasse, sans participer.

-Vous ne me ferez pas ce déplaisir. J’ai pris avec moi des arcs volantains, au cas où le manque se ferait sentir. Je puis vous en prêter un adapté à votre gabarit. Ils ont largement prouvé leur efficacité dans un tournoi dirigé par lord Bonru. Prenez – en un, et rassurez vous, si vous ratez, je serai derrière pour rattraper le coup. »

Ce disant il tourna les talons et lança de nouvelles paroles aux différents seigneurs qui s’apprêtaient

« Allons, messires. Nos chevaux et les chiens nous attendent, mais ce ne sera pas le cas du gibier. » et sur ces mots la troupe se mit en route.

Je devinai alors sous ses vêtements la forme de l’étui d’une  dague placé à l’horizontale dans le bas de son dos, le manche dépassant jute assez pour permettre à une main habile de la saisir et de frapper sans perte de temps. Et à chacun de ses pas me parvint le son métallique d’une cotte de maille

Je relevai la tête et m’aperçu que le Butor me lorgnait par-dessus son épaule. Avait –il deviné ce que je regardais ? Pour toute réponse, il m’adressa un léger sourire, et enchaîna d’un mouvement de tête avec une plaisanterie à lord  Edwyn Sarchamps qui le côtoyait.

Je les suivais en fin de file, mon père fermant la marche. Je regardais comme une peinture murale cette dizaine de dos qui portaient une part du poids du monde sur les épaules.
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