Terres de l'Orage - Maison Connington de la Griffonnière

La herse du châtelet fut remontée, laissant la liberté aux visiteurs de franchir l’étroite crête que chaque individu, hostile ou non, devait emprunter pour se rendre jusqu’aux portes de la Griffonnière, fief des Connington depuis aussi loin que remontait la mémoire des habitants de la baie des Naufrageurs. Une Griffonnière qui semblait présentement prête à exploser d’impatience face à la perspective d’accueillir le premier émissaire Barathéon à se rendre officiellement auprès d’un Connington depuis le mariage de feu lord Renly avec une membre de la noblesse dornienne. Un mariage d’amour – une mésalliance pour la plupart – qui avait isolé lord Renly – mais aussi son père lord Simon qui avait consenti à ce mariage – de la grande majorité des bannerets de l’Orage lorsque ceux-ci s’étaient rués sur les contrées dorniennes.

Descendant les escaliers en pierre qui menaient de ses appartements à la cour de la forteresse, Mestre Geor ne put s’empêcher de penser que cet isolement avait permis aux sujets des Connington de profiter d’une quiétude peu entrevue dans tout le reste de Westeros. Il s’enorgueillissait à penser qu’il y avait contribué, un peu, du temps de feu Lord Renly et bien plus directement au service de Madame qui avait assuré la tutelle sur son fils et son héritage après la mort de son époux, voilà près d’une décennie, lors d’un très évitable accident de joute.

Lord Renly était un homme impétueux – que d’aucun qualifièrent d’inconséquent –, mort comme il avait vécu, au cours d’une cavalcade inconsidérée avec son cousin et ami de toujours, Herbert Connington, sire de Stodden. Sa disparition dans la force de l’âge aurait considérablement pu fragiliser la branche principale de la famille Connington, son héritier n’ayant alors même pas dix ans, si Madame n’avait pas révélé son habileté à ménager et orchestrer les différentes personnalités qui composent les principaux vassaux et membres de la famille Connington. La famille au Griffon avait ceci de notable qu’elle était aussi pléthorique que la branche de la Griffonnière était réduite à portion congrue. Aucun membre de la branche principale, hormis Vorian, n’était encore en vie. Ses vassaux les plus puissants, eux, membres plus ou moins éloignés de la dynastie Connington, pouvaient se montrer plus ou moins aidants.

Simon Connington, Sire de Rougetertre, était à la fois le plus proche par le sang et le moins bien disposé à l’égard du jeune Lord de la Griffonnière en raison de la puissance actuelle de sa lignée. S’il ne s’est jamais révélé disposé à entrer en confrontation ouverte avec les seigneurs de la Griffonnière, ce serait moins par ferveur familiale qu’en raison de sa pusillanimité. C’était néanmoins un homme capable, de bons conseils et entièrement dévoué à la prospérité de ses possessions. Ses potentielles ambitions étaient aussi tempérées par les liens plus étroits qui existaient entre Vorian et ses deux autres vassaux les plus importants, les Connington de Stodden et de l’Orée-Pluie. Ainsi, l’amitié qu’entretenaient autrefois Lord Renly et Ser Herbert de Stodden semblait aujourd’hui prolongée par celle entre Vorian et Roy, fils aîné de Herbert, alors que les liens de Coryanne la Cendrée avec la Griffonnière s’étaient raffermis avec le temps à partir du moment où Madame avait décidé que Casper Tignac, le frère de l’Ogresse de l’Orée-Pluie, formerait aux armes l’entièreté de la jeune génération Connington.

Une fois arrivé au pied de l’escalier, Geor entreprit de se frayer un chemin jusqu’aux membres de la famille Connington présents au château pour accueillir l’émissaire. Parmi la foule de badauds et de familiers, il semblait bien le seul à ne pas goûter l’enthousiasme ambiant, avec sa mine renfrognée qui aggravait le poids des années pesant sur des épaules bien plus frêles que dans ses jeunes années.

– Eh bien Mestre Geor, l’interpella insolemment Virgil, le rhapsode que Vorian avait récemment attaché à son service, après l’avoir aperçu du haut de la barrique où il s’était perché pour observer la scène. Il était comme à son habitude affublé d’une horrible moustache verte à la mode tyroshi. Ne vous pressez donc pas ainsi, Innor est sans doute déjà au côté de notre lord pour lui susurrer ses précieux conseils. Remontez dans votre tour et profitez de vos derniers instants de quiétude avant que les bruits de l’orage ne soient de retour à la Griffonnière.

Geor essuya la pique sans mot dire et continua son chemin. Il savait que le chanteur originaire du Lac Rouge brillait plus par son impertinence que par sa méchanceté mais il du s’avouer que la remarque était plus douloureuse qu’il ne l’aurait désiré. Chargé d’éduquer Vorian aux lettres et aux coutumes de la noblesse de Westeros, il avait toujours su tempérer son ambition dévorante et sa soif de reconnaissance en lui présentant les bienfaits qu’avait apporté à ses sujets l’éloignement entre Accalmie et la Griffonnière. Du moins jusqu’au décès de la mère du jeune lord qui avait réellement consacré l’avènement de ce dernier à la tête de la maison. Une prise de pouvoir personnel qui s’était faite sans heurts et avec l’aval des membres de sa famille, ses parents n’ayant pour l’heure pas d’intérêt à bouleverser l’équilibre qui existait entre-eux. Un équilibre sur lequel reposait grandement la légitimité et l’autorité de Vorian. Depuis, Geor voyait son influence décroître lentement alors que celle d’Innor – que Vorian avait ramené de Lys lors de son bref séjour dans les Cités libres – augmentait au même rythme que la volonté du nouveau lord de rompre avec le fonctionnement autarcique de la Griffonnière et de se rapprocher de ses suzerains Barathéon.

Geor atteignit enfin les premiers rangs, aperçut Vorian flanqué de deux de ses cousins et se plaça entre Rouge-Lester et Tregar – les deux chevaliers affectés à la garde personnelle/épées-liges du jeune lord – qui le saluèrent. Tous les deux entretenaient une grande complicité qu’ils mettaient au service de leur maître, le premier – un ancien compagnon d’arme de feu Lord Renly – ayant formé le second, adoubé récemment, aux arts de la guerre. Rien d’autre, à première vue, ne semblait les unir mais ils formaient un duo redoutable et apprécié de tous. Rouge-Lester était un vétéran taciturne aux muscles noueux tandis que Tregar était une montagne de muscles qui affichait un air perpétuellement enjoué. Néanmoins, derrière un air un peu benêt, il se révélait tout aussi efficace que son aîné.

– Vous arrivez un peu tard pour vous placer au côté du lord, lui fit remarquer aimablement Tregar. Ser Roy et Ser Stannis ont déjà pris cette place.

– Ce n’était pas mon intention, il est bon que les héritiers des deux branches vassales les plus importantes de la Griffonnière fassent preuve de leur unité face à l’envoyé de lord Corwen Barathéon.

– Puisque vous parlez d’unité, Stannis et Roy semblent s’être réconciliés après leurs démêlés de hier soir, fit remarquer d’un air bourru Rouge-Lester. On peut espérer que l’entente cordiale dure jusqu’au départ du Lord pour Port-Réal.

Vorian, Stannis, héritier de Rougetertre, et Roy, hériter de Stodden, étaient les trois représentants les plus brillants de la plus jeune génération Connington. Les plus ambitieux aussi, ce que Mestre Geor interprétait comme une source future de problèmes lorsque chacun aurait hérité des titres de son père. Leurs compétences donnaient l’impression qu’ils avaient été formés sur le même moule : charismatiques, excellents bretteurs et commandants naturels. Le jeune lord n’ayant ni frère ni sœur, il avait grandit à leur contact. Cependant, là où Vorian – le plus jeune des trois – se démarquait par son sens de la mesure et de la conciliation, Stannis faisait preuve d’une fierté écrasante appuyée et légitimée par sa prestance et sa capacité à en imposer à ses adversaires, cela même en plein cœur de la mêlée – il était quasi-unanimement considéré comme le meilleur bretteur des trois. Une fierté que Roy se faisait régulièrement une joie de mettre à mal par son insolence, ce qui était source de tension entre les deux jeunes hommes. Hier soir encore, ils avaient manqué en venir aux mains après que Roy ait annoncé son intention de trousser l’actuelle favorite de Stannis. Et, comme de coutume, l’attitude amusée et conciliante dont Vorian faisait preuve envers celui qui était son ami le plus proche depuis leur enfance passée en commun à l’Orée-Pluie irrita grandement Stannis.

Pour l’heure cependant, ils se tenaient tous les trois le plus droit possible face aux portes de la Griffonnière en train de s’ouvrir, cherchant à se donner une contenance aristocratique pour accueillir et impressionner l’émissaire du suzerain de l’Orage. Stannis, qui était le plus âgé des trois et le seul à avoir déjà eu à assurer des missions de représentation en dehors des domaines Connington, semblait être le plus à l’aise tandis que Roy, affublé d’un vêtement de chasse que Geor jugea trop négligé pour coller avec l’importance de l’évènement, trépignait à la gauche de son suzerain. Là où Stannis inspirait le respect par ses compétences et son charisme, l’héritier de Stodden suscitait des sentiments plus ambigus à ceux que le rencontraient. Il s’était néanmoins toujours révélé un ami loyal de Vorian et l’intelligence dont il était capable de faire preuve, lorsqu’il abandonnait le regard fuyant qui le caractérisait, se révélait souvent d’un grand secours. Par ailleurs, c’était chez lui que les talents militaires semblaient être les plus innés, là où les deux autres fréquentaient assidûment les terrains d’entraînement. Il avait néanmoins hérité des vices de son père et Geor ne pouvait que se réjouir que les quelques sombres histoires circulant sur son compte à Stodden n’aient pas encore entaché la réputation de son maître.

Entre-eux, Vorian paraissait presque enfantin en raison de ses longs cheveux roux – couleur caractéristique des Connington qu’il partageait avec Stannis – et de sa carrure moins imposante que ses deux aînés qui semblaient taillés dans le roc sur lequel était bâtie la Griffonnière. D’habitude si mesuré, il semblait présenter des signes d’impatience, certes uniquement perceptibles pour qui le connaissait bien. Sa main gauche ne cessait d’aller et venir entre le pommeau de son épée et son ceinturon alors qu’il étirait sa tête d’un côté puis de l’autre, comme s’il cherchait à dénouer les muscles de ses épaules de la tension accumulée et des attentes qu’avait suscité en lui le corbeau en provenance d’Accalmie reçu il y a de cela une quinzaine de jours.

Corwen Barathéon souhaitait envoyer Vorian le représenter à la cour de Port-Réal. Il semblait compter sur le fait que le jeune lord de la Griffonnière soit inconnu de tous pour qu’il y reçoive un meilleur accueil que d’autres vassaux de l’Orage, plus notoirement réputés pour leurs exploits. Un projet que Geor n’avait eu de cesse de désapprouver depuis mais que Vorian s’était empressé d’accepter sans vraiment s’attarder sur les implications qu’une telle position aurait pour lui et ses domaines.