An 314, Myr, Marché d'AutomneOeil de Myr
Un homme, jeune, la peau mate, la mine dure et hautaine rehaussée par quelques artifices, les cheveux noirs magnifiquement entretenus, lui donnant un air de prince tyran. Tyran, il l’était sans doute aux yeux des ignares, mais on décelait plus en lui l’âme d’un politicien architecte. Huit hommes bien peu discrets lui emboîtaient le pas, des soldats, tous, la face un peu trop propre et polie pour être de vulgaires soudards, et des vêtements trop peu coûteux pour être autre chose que ces spadassins de petite noblesse, des citoyens et des fils de marchands, qu’on ne croisait d’ordinaire qu’à Braavos. Si la richesse des vêtements de l’homme à l’avant, les décorations exubérantes et atypiques mais pourtant propres et presque militaires, caractérisaient un Volantain, et de haute naissance, on pouvait s’interroger sur l’ascendance des soldats de parade de sa suite ; Myriens ? Lysiens ? Ou bien Volantains comme lui?
Malgré l’air pompeux et légèrement vindicatif de la troupe, on ne lui prêtait guère plus d’attention que cela. La ville haute de Myr était un lieu bien famé, très bien famé, et on y trouvait magistères, banquiers, seigneurs ouestriens et capitaines mercenaires tout à la fois. Des cohortes entières d’esclaves et de soldats parcouraient les rues, surveillaient l’endroit du haut d’un balcon ou adossés à un mur. Armés d’arbalètes lourdes, de piques à la lame large comme un avant bras, avec des armures de cuir décorées d’écailles de fer cuivrées, certains arboraient ostensiblement le pourpre Braavien. Alors que le Détroit grondait, la fille bâtarde de Valyria rappelait à tous que Myr était son protectorat depuis la dernière guerre. Des décennies de paix, qui allaient voler en éclat.
La Place de Verre se situait au milieu d’une serre d’envergure dantesque soutenue par quatre bâtiments, des tours qui ressemblaient plutôt à des maisons empilées sur trois étages. Le marbre sali était rehaussé par les statues et les tapisseries qui l’ornementaient ; Myr était une ville en couleurs. Le verre, lui, n’était encore propre que sur les extrémités proches des tours. L’artisanat qui avait produit une telle architecture était certes fabuleux, mais pas assez prévoyant pour prévoir une méthode permettant de laver le centre du dôme… Pitrerie amusante et coûteuse, se disait le jeune homme.
Son regard parcourut la vaste esplanade, multicolore du monde qui la traversait. A une extrémité de la place, on voyait trois immenses hommes dans une armure grise au modèle antique mais de facture récente, qui pressaient de questions un marchand à la pugnacité remarquable, lui même entouré de quelques mercenaires rutilants qui néanmoins faisaient moins belle allure. L’homme vendait des Yeux-de-Myr. Une denrée rare et prisée pour la guerre. Epices de Quarth et de Yi-Ti, gemmes des îles d’été, bijoux en ambre des terres de l’Orage, orfèvreries de Castamere et Port Lannis, verreries et outillages de Myr. Mais plus que toute autre chose, c’étaient les armes, les métaux, les armures qui attiraient le plus de gens. Et pas seulement des nobles Ouestriens ou des Volantains ; mais aussi tout un tas de riches marchands spéculateurs, de mercenaires alléchés, et même un prêtre rouge quelque part. Cela avait quelque chose d’amusant. Et de dangereux, également, mais heureusement, la tension névrosée des avides et des affamés laissait le Volantain progresser tranquillement. Il s’attendait presque à avoir plus à craindre de ses confrères que de ses adversaires ; après tout, son père et lui étaient ouvertement considérés comme hostiles à la guerre. Les Tigres se montraient de plus en plus belliqueux.
Passant rapidement d’un étal à l’autre, sans écouter les courbettes pitoyables des négociants et traitant chaque marchandise qui attirait un peu son regard avec une morgue toute Volantaine, il progressait sans trop savoir ce qu’il cherchait en cette ville. Myr était sans conteste la plus avancée technologiquement des Cités Libres, une des plus actives dans le commerce du Détroit, et regorgeait de points d’intérêts divers. Mais tout dans sa splendeur se ressemblait. Les fontaines, les vitres magnifiques, les deux aqueducs, les bâtiments aux architectures ésotériques, les soldats et les princes… Rien ne respirait ici autre chose que la complaisance d’une cité pour sa propre esthétique et sa philosophie pitoyable.
Un homme d’âge avancé s’avança vers la petite troupe, seul, quoiqu’on distinguait deux marchands vêtus plus légèrement et moins richement portant un sabre à la ceinture. Habillé d’un pourpoint rouge-vin, de chausses bleues saphir, d’une ceinture avec des roses bleues brodées dessus, et d’une broche en or représentant un livre ouvert, il arborait un air espiègle presque enfantin et marchait comme un personnage d’une pièce de théâtre Braavienne.
- Chyro Faenyris. Ma femme m’a annoncé que vous aviez l’intention de prendre votre départ à bord de votre galéasse demain matin, et que je pourrais vous trouver ici. Quel dommage que vous ne soyez pas en mesure de prolonger votre séjour.
Le vieil homme fut soumis à un examen attentif sous la forme d’un regard méfiant. Chyro l’identifiait comme Symon Bahonnis, le maitre de la Guilde des Intendants et Magistère de Myr. Un homme puissant, quoique d’envergure secondaire comparé à d’autres. Il attirait d’autant plus les regards qu’il était sensé se trouver en réunion avec les autres dirigeants de la Cité et l’ambassadeur Braavien dont une dizaine de voiles pourpres dans le port ne cessait de rappeler la présence. Son air gamin ne lui allait pas du tout et le rendait plus stupide qu’il n’était. Car stupide, il l’était assurément, malgré un œil pétillant d’une forme de malice dont on se passerait bien.
Il exécuta une courbette étrange, presque satirique, mais riche de sens.
- Je n’ai pas l’intention de m’accaparer votre temps, mais nous aurions fort à dire si vous m’accordiez un entretien rapide.
Quelle absurdité pouvait bien le pousser à s’exprimer en public d’une telle manière ? La proposition, malgré tout, semblait ne tolérer aucun refus. Un sujet de première importance sans aucun doute, mais pour quelle raison aussi peu de discrétion ? C’était sans aucun doute la deuxième ou troisième place la plus fréquentée de Myr.
Le jeune homme laissa de coté son aversion pour les gens instruits mais pas tout à fait intelligents et se réintégra à son manteau de diplomate. Un simple mouvement du menton suffit à l’inviter à prendre le pas du Magistère, et il le suivit d’une démarche souple. Les badauds ne s’écartaient pas tout à fait à son passage, mais il se frayait néanmoins un chemin dans la foule sans trop de difficultés. Ses manières exubérantes et sa souplesse, son aspect atypique et ce manque de discrétion.. Tout chez cet homme qui avait semblé lors des premières rencontres peu extraordinaire à Chyro relevait d’un décalage incompréhensible. Mais la Guilde des Intendants était sans aucun doute rayonnante pour de bonnes raisons, aussi le Volantain décida qu’il avait encore à forger son opinion.
Ils traversèrent l’immense place pour se diriger vers un portique qui, de loin, semblait d’aspect rustique, mais était en fait constitué d’une pierre rouge finement ciselée qu’on ne trouvait que dans les montagnes au sud d’Andalos. Petite et tassée, mais néanmoins dotée d’une porte de bonne envergure, qui fut immédiatement ouverte par deux gardes à la mine soignée, celle ci était réservée aux membres les plus importants de la cité. Elle découvrait un chemin surélevé qui grimpait directement vers la Colline des souffleurs, lieu d’artisanat essentiel et de gouvernement.
Le chemin était fait de marches taillées dans la roche et était en fait bâti plus ou moins sur la colline, mais légèrement surélevé. Un toit de verre – peu rassurant - et des murs visiblement plus anciens que les autres décorations, ornés de bas reliefs. D’immenses fenêtres avaient été taillées dedans. On apercevait tout le nord de la ville d’ici, quoique cela montrait également que l’escalier n’était pas si haut que cela. Ils arrivèrent rapidement en haut, sans toutefois avoir échangé la moindre parole.
La porte de l’autre extrémité du couloir donnait sur une vaste pièce éclairée par des torches, et Chyro se rappela avoir aperçu une sorte de pyramide tassée en plus oblique et assez en hauteur tout de même à proximité du grand Dôme de Verre ; il devait donc s’agir de ce palais secondaire qui marquait l’extrémité la moins visible de la colline des souffleurs. Le bâtiment, de l’extérieur, était assez beau, du cuivre-or distinctif des bâtiments les plus important de Myr, et avec des vitres couleur émeraude, des balcons de pierre rouge, des colonnes de marbre peint supportant l’ultime étage, qui, plat, avait une statue en basalte d’un quelconque explorateur ou marin regardant l’horizon. L’intérieur, plus exigü à cause des murs épais nécessaires pour faire tenir la bâtisse, se composait à mesure qu’on montait les étages de nombreuses pièces d’ateliers assez vastes, de salles de réunions, de bibliothèques…
Symon mena le petit groupe d’hommes au sommet de la pyramide, non sans laisser ses deux compères et sept des hommes de Chyro à l’étage qui semblait faire office de hall. Arrivé en haut, Faenyris se dirigea d’abord vers le balcon. En observant le panorama de la ville, il resta sur l’idée que cette bâtisse était effectivement inspirée du modèle de Meereen. Cela, associé aux tableaux de diverses personnalités toutes relativement jeunes et ressemblant traits pour traits à Symon, laissait à penser que ce bâtiment était relativement nouveau, et que la famille Bahonnis avait connu une ascension fulgurante.
La ville haute, qui n’était qu’en fait qu’une colline, donnait cette impression de grandeur par les nombreuses cheminées et tours qui s’élevaient dans les airs. Sans vraiment dominer la ville, on y avait une bonne vue sur la colline plus en avant, le port et la Mer de Myrth en général. Le spectacle n’avait rien d’impressionnant ou de magnifique, car les bâtiments étaient somme toute assez certains bâtiments donnaient une allure particulière à cette ville qui s’étalait le long de la mer en refusant de s’enfoncer dans les terres. Elle manquait cruellement d’infrastructures puissantes ou de fortifications réelles. Nul étonnement à ce que les Dorniens aient pris aussi facilement la ville. Mais la mer, elle, resplendissait d’un émeraude magnifique. Symon semblait incapable de lire l’expression du Volantain, et se décida à l’interpréter comme de la contemplation.
- Vous semblez apprécier la vue, dynaste.
Chyro l’ignora et se tourna vers lui, évitant de lui lancer un sourire goguenard. Il ne se donna pas la peine de rappeler à l’homme qu’il aimerait en savoir plus sur l’objet de cet entretien. Celui ci comprit immédiatement, quoiqu’il ne semblait pas apprécier les manières du jeune homme.
Il grommela et s’assit sur un siège, non sans récupérer aussitôt après sa mine d’enfant enjoué. La pièce était à ciel ouvert sur le sud uniquement, et se composait d'une coupole pleine de meubles en bois blanc avec des coussins bleu azur sertis d’or, de présentoirs pleins d’échantillons d’un peu tout ce qu’on pouvait trouver sur les divers marchés de la ville, et d’un bureau magnifique avec plusieurs objets très communs d’une facture tout à fait normale quoiqu’efficace. Pas moins de trois yeux-de-myr sur la table, et ce qui semblait être une dent de dragon juste à coté. La pièce hésitait entre utilité et opulence.
Au centre, un bassin d’eau claire stagnante, assez profond pour y baigner les jambes. Chyro décida de s’asseoir en face de l’homme, posant ledit bassin entre eux deux.
Symon observa le regard du Volantain quelques secondes et sembla prendre une décision rapide. Il quitta toute mièlerie et faux semblants, et décida d’aller au vif du sujet, chose peu surprenante pour un homme de son tempérament.
« Vous êtes le fils de quelqu’un d'influent, diplomate et homme d’état. Je ne nie pas vos capacités et votre caractère, mais c’est à Malaqo que je dois m’adresser. Vous ne le savez sans doute pas, mais une partie des Myriens soutient malgré tout Braavos ; l’autre, celle que je représente, a décidé de placer ses espoirs d’indépendance politique en votre cité, et plus particulièrement en la partie des Eléphants que plusieurs familles dont la votre représentent. »
Chyro accusa la première partie du discours sans broncher. Que cela signifiait-il donc ? Il était de la trempe de son père, mais pas suffisamment de ses affaires pour pouvoir s’exprimer en son nom. Bahonnis continua sans broncher, mais semblait avoir prit conscience de la vulnérabilité subite de son invité.
« Soyons clairs : Volantis va perdre. Si toutefois Belago Naelays et sa tigresse de femme sont suffisamment fous pour lancer l’assaut contre Westeros, les dragons de la famille royale auront tôt fait de réduire votre flotte en cendres. »
Ce sujet, encore et toujours. Mais l’inexpérience du vieil homme se manifestait. Faenyris avait l’impression d’avoir à nouveau le dessus et reprit un peu de son assurance. Heureusement, un jeune homme, s’il n’a pas l’expérience, peut toujours compter sur la bêtise de ses ainés. Il se rehaussa dans son siège.
« Nous autres de la faction souverainiste reconnaissons l’influence Volantaine comme bénéfique et vos intentions comme louables vis à vis de nos intérêts. Et nous sommes prêts à vous financer, par des armes, de l’or et des outils. Mais pas comme cela. Tyrosh… La plus fortifiée des Cités Libres, confiée à une des plus terribles familles de Westeros. »
Symon avait quitté sa mine enfantine mais en gardait quelque chose. Ce n’était qu’un demi-masque, en somme, et toute la couardise du personnage se révélait.
« Voilà ce que je souhaite vous dire. Votre état est inatteignable, vos Triarques bornés, et vos commandants n’entendent rien à la politique que nous manions. Mais votre père est un homme sensé. Je veux que vous lui demandiez d’agir, d’une manière ou d’une autre. »
Il reprit d’une mine plus grave.
« Les deux artefacts que nous vous avons confiés… Ne doivent pas tomber entre les mains des Targaryen. A plus forte raison d’Hoster. Ou de Naerys. J’imagine bien que Naelays s’imagine avoir l’un ou l’autre dans la poche. Mettre en jeu tout l’or qui a été investi dans vos flottes, c’est une chose. Mais ces objets… »
- De quoi s’agit il ?
La voix de Chyro avait frappé la pièce, subitement, gravement, pour la première fois de la discussion. Cela lui conférait sans doute une forme d’ascendant, mais il venait de confesser une faiblesse : il n’avait pas toutes les cartes en main. Symon sembla moins vif. Il se leva et se dirigea vers son bureau. Ses mains tremblaient, mais il extirpa un petit coffre d’un tiroir, une clé de son cou, et après l’avoir ouvert, sortit un parchemin de bonne qualité qu’il tendit à Chyro. Il reprit, l’air angoissé.
« Il s’agit de détails supplémentaires sur l’objet premier et son paquetage. Celui ci a été livré à la Triarque Beraelys par l’intermédiaire de mon fils, trop jeune pour éveiller les soupçons. Enrico. L’autre est exposé bien en vue dans votre Palais, ce qui lui confère une discrétion plus importante encore. Je ne peux pas vous en dire plus sur celui là. Il est impératif que vous récupériez le premier. Les Tigres vont échouer. Mais l’artefact peut encore servir d’ici 10, 20, 30 ans ! »
Un sourcil circonspect accueillit la lecture du parchemin une fois déplié. Cela faisait bien peu de sens. Tant de détails, de spéculations et de certitudes, plongés dans l’introduction du ballet sanglant qui s’annonçait… Chyro replia le papier. Sa seconde prise de parole du jour fut encore plus hautaine que la première.
- En somme, vous vous adressez à mon père et à son influence, en espérant que nous corrigions ce que vous considérez comme une erreur à venir de la part de nos dirigeants, mais qui n’est en fait que votre manque de jugeote personnelle ?
Le magistère eut une réaction indéchiffrable mais semblait plus s’amuser que s’étonner de la réaction. Mais il était tout à fait incapable de cacher le fait que la situation l’angoissait au plus haut point. Décidant sans doute de copier les manières de son hôte, il hocha la tête. Chyro eut une moue réprobative.
- Vous considérez la défaite de Volantis comme inéluctable, mais avez vous idée des forces en jeu ? Plus de trois cent navires, soixante mille hommes, mercenaires, esclaves, Immaculés, commandés par deux des Tigres les plus glorieux qu’ait connu ma cité depuis trois cent cinquante ans. Contre une famille de parvenus déchirée, commandant à vingt mille spadassins désobéissants en armure lourdes qui ne savent pas nager. Seul un courroux divin pourrait nous empêcher de gagner. Le prince de Tyrosh lui même n’a pas idée de ce qui l’attend.
Symon semblait accueillir ce discours avec très peu de considération.
- Le problème, mon garçon, c’est que votre guerre n’a aucune ambition. Rétablir le commerce d’esclaves dans une cité, affranchir un bout de Détroit de l’influence de Westeros, et taper sur la tête des Targaryen dans un moment d’égarement de leur dynastie consanguine… Nous sommes loin de l’appétit insatiable de Volantis.
Chyro eut un éclat d’approbation et de colère dans les yeux. Mais pas forcément dans le sens que le vieil homme pouvait souhaiter.
« Ne me parlez pas d’ambition, Myrien ! Qu’est ce que votre Cité a fait en quatre siècles à part se chamailler pour quelques acres de terres fertiles ? Quel état, quelle armée ? De si puissantes arbalètes, de si belles hallebardes, maniées par des coupe-jarrets glorifiés et des demi esclaves idiots. Des navires de guerre relevant de la prouesse, relégués à un rôle de garde côtes. Pas de lois, pas de magistrats, pas d’administration, pas de territoire. Vous n’êtes que des commerçants glorifiés, les abats de boucherie de l’empire dont nous sommes les héritiers ! Volantis commande à la Rhoyne et à la Mer d’Été, à des colonies plus larges que la plus large des cités Ouestriennes, à Lys, à Meereen, à Astapor et à Yunkaï ! Nous ne sommes p… »
Symon émit un rire, comme s’il avait compris quelque chose, puis, sans se départir de sa superbe, le coupa, se lançant dans une tirade satirique ponctuée de grands gestes exagérés.
- Rien de la puissance et de la terreur de Volantis. Rien de vos armées si nombreuses et craintes, de vos flottes énormes, de vos énormes bâtiments, de vos colonies et de vos milliers de piques qui foulent au sol les Khalassar.
Il retrouvait progressivement un sérieux dans son discours et regardait à nouveau son auditeur dans les yeux.
- Myr n’est pas une conquérante. Myr n’est pas l’architecte de milliers de vies, de territoires immenses, de flottes, d’armées… Mais votre vision de l’état est scandaleusement étroite. Nous autres Magistères sommes très certainement de piètres dirigeants ; je n’ai que mépris pour ces hommes à l’ambition limitée qui peuplent mon conseil ; mais le commerce, le marchand, la guilde, la corporation… Il existe des formes de pouvoir que même vous ignorez. Votre taloche témoigne que l’arrogante hauteur de vous autres de l’Ancien Sang vous a aveuglé sur les pouvoirs qui naissent à vos pieds. Durant le Siècle de Sang comme la Guerre du Détroit. Et ce papier en est une preuve admirable.
Il pointa du doigt le parchemin qu’il avait donné à Chyro plus tôt.
- Méprisez tant que vous voulez nos méthodes, et croyez autant que vous voulez en la victoire de vos pairs. Mais les vôtres sont en général moins rapides à cracher sur nos armes et notre or que notre histoire ; encore moins sur une arme aussi terrible que celle ci. Je vous ai donné les détails nécessaires ; vous ne pouvez les comprendre, mais votre père, lui, le pourra. Confiez lui ces plans. Dites lui ce que je vous ai dit. Et de sa réaction, prenez une leçon de pouvoir.
Un geste extrêmement méprisant, eu égard au reste de la conversation et des manières de l’homme congédièrent Chyro. Celui ci s’enferma dans son regard hautain et placide habituel et se dirigea vers la sortie. Alors qu’ils redescendaient l’escalier, le plus petit des huit hommes de l'escorte, qui avait assisté à la conversation, rattrapa Faenyris. Les cheveux charbons et les yeux ébène, il n’était pas bien intéressant vu de loin mais proprement énigmatique quand on le voyait de près. Sa voix, rauque, ne convenait pas à un homme de sa jeunesse.
- Que cachait cette entrevue que je n’ai pu saisir ?
Chyro avait un regard bizarre, comme s’il avait l’impression d’avoir remporté une victoire humiliante.
- Je ne saurais le dire. L’homme est étrange, et le papier me semble être un faux. Mais je pense avoir réussi à faire sortir l’information qu’il souhaitait de la conversation,