Nimbus
Messages : 2 Date d'inscription : 22/04/2020
| Sujet: Villevieille Mer 11 Nov - 9:47 | |
| Dernières lueurs du soir
Les lueurs amarantes du soleil couchant se reflétaient harmonieusement sur les eaux et, conjuguées à une léger Noroît, rendaient le cadre idéal. La masse innombrable des embarcations de tout tonnage qui défilaient dans la baie de l’Hydromel entachait un peu le naturel du paysage, mais contribuait tout de même à la magnificence du panorama. Décidément, Laswell ne s’en lassait pas, et encore moins maintenant : il venait tout juste de revenir à Villevieille et s’apprêtait déjà à en repartir. Il avait songé un temps que la vue allait le distraire de la situation générale, de l’embarquement des troupes, des conseils de guerre, des ordres à donner et des comptes à entendre. Mais finalement, le paysage était si beau qu’il en était inspirant. Laswell se souvenait de quelques bribes de prophéties de R’hllor que lui avait raconté Adénor, et bien qu’il doutât notoirement de leur véracité, il espérait que le combat final d’Azor Ahai – si jamais il avait lieu – se tiendrait dans un cadre similaire. Quel meilleur cadre pourrait-il y avoir pour la victoire de la lumière sur les ténèbres ?
Il entendit du bruit derrière lui : quelqu’un montait les marches. Edmund sortit enfin de l’escalier et vint s’accouder à la rambarde aux côtés de son père. - Vous êtes ici, père ? Ser Lymann vous cherchait pour régler des détails avec vous.
- Je descends à l’instant, Edmund. Seulement, j’avais besoin de…
- Vous aviez besoin de prendre l’air en regardant le soleil couchant ? Cela va faire 27 ans que je vous vois faire cela, je commence à y être habitué.
Laswell marqua une pause. L’ironie était sympathique, mais n’était pourtant pas un des traits de son héritier.
- Mais j’imagine que tu commences à me comprendre, maintenant que tu gouvernes cette ville en mon absence.
- Je comprends, père, je comprends. Cela fait sans doute du bien de regarder la ville et de se rappeler ce pourquoi nous avons passé cette journée… En plus de la beauté du paysage.
Laswell laissa passer un silence approbateur, mais qui fut bien vite brisé par Edmund :
- Je gouverne cette ville, mais c’est encore vous qui me gouvernez, père. Vous me laissez ici diriger, et vous vous absentez pendant de longs mois aux quatre coins du Royaume. Pour finir, vous revenez à Villevieille – pour quelques jours seulement – en ramenant la guerre et la nouvelle de mes fiançailles. Est-ce tout ce que vous voyez en moi, père ? Un simple second ? Vous ne me laissez même pas embarquer pour combattre à vos côtés dans la guerre qui vient !
Le reproche était fait avec pondération et mesure. L’abcès était crevé, et Laswell sentit Edmund se relâcher un peu. Cependant il lui resterait encore à calmer l’héritier du Phare.
- Edmund, si je t’ai donné le gouvernement de cette ville et de mes terres en mon absence, c’est bien parce que j’ai toute foi en toi en ce qui concerne leur gestion. Tu es mon fils, mon aîné, et aucun de tes frères n’aurait pu remplir aussi bien les fonctions de Lyndon Bulwer depuis sa mort. Notre famille ne peut se permettre de laisser la seconde ville du Royaume mal administrée, ni la maréchaussée de l’Ouest sans dirigeant fort – et c’est ce que tu es devenu, mon fils. Avec l’aide de ta sœur et de ta cousine, vous avez remarquablement bien dirigé cette ville, et celle-ci est devenue une des plus stables des 7 couronnes. Tu as su gérer les problèmes avant qu’ils ne se présentent, et soigner nos relations avec les autres acteurs de la ville. J’ai parfois plus confiance en toi qu’en moi-même. Tu n’es pas un simple second, tu es bien mon fils et mon héritier, ne l’oublie pas.
- Et cette guerre, père ? Pourquoi vous impliquer dans une guerre aussi vaine, au nom d’un conseil qui vous a haï de toute éternité ? Un conseil qui compte un protecteur du royaume autoproclamé, un estropié qui était le bailleur de l’Illuminé, un bailli et un maître des chuchoteurs confinés et encerclés dans un quartier de Port-Réal, un maître des lois qui se sert de fourrageurs pour trouver des preuves, un maître des flottes brutal, un maître des armées qui subit une tentative d’assassinat et une défaite en un mois, un grand argentier qui paie sa place 100 000 dragons, et, pour finir, une main sans roi qui piétine depuis 3 mois dans le Val ?
Laswell sourit devant un compte-rendu d’une si grande minutie. Il reconnaissait bien là la malice de son aîné, et l'analyse n'était pas dénuée d'une certaine véracité qui lui avait presque fait un frisson dans le dos.
- Cette guerre est stupide, et mal gérée depuis le début par un conseil constitué d’intrigants du Conflans qui profitent depuis des années d’être proches du pouvoir pour nous exploiter et nous abuser ! Et vous, père, on dirait que vous jouez leur jeu.
- La gestion est on ne peut plus mauvaise en effet, mais j’espère que les conseillers commencent à s’en mordre les doigts, à défaut de pouvoir en bouter Aemond Targaryen. L’ancienne Main, Velaryon, fait en ce moment même des travaux de maçonnerie qui ont été possibles par sa grande prévoyance. Quant au frère de Lannister, je le laisse s’amuser au pugilat avec les Résilients. Il faut bien ça lorsqu’on a déclenché une guerre totale et qu’on a perdu le roi ainsi qu'un tiers de sa flotte.
C’était au tour d’Edmund de sourire.
- Cette guerre est, comme tu l’as dit, menée par des imbéciles et des incompétents. Hélas, il faut bien les y aider pour éviter que Westeros ne coule sous le poids de leur stupidité. Nous avons tout intérêt à ce qu’elle s’achève brièvement. Tu sais ce que disent les Hightower : « la guerre nuit au commerce » … Celle-ci n’est pas partie pour durer. L’hiver risque de toute façon de sceller le conflit dans peu de temps. - Vous vous apprêtez donc à partir juste pour finir cette guerre le plus vite ?
- Oui, et aussi parce que j’ai versé mon sang et celui de mes hommes à Tyrosh aux côtés de notre roi il y a de cela dix-sept ans. Je ne suis pas prêt à voir tout cela dilapidé par quelques raclures. Pour moi, ce sera une façon de boucler la boucle. Il va sans doute y avoir de belles batailles, mais le tout ne revêt pas suffisamment d’importance pour que je me prive de ta présence ici. Le royaume va de plus en plus mal, et j’ai besoin d’une valeur sûre au Phare. Ne crois pas un instant que je te laisse une tâche aisée : Hautjardin, Tyrosh, le Val et Port-Réal sont en proie aux flammes… Il ne suffirait qu’une étincelle vole pour voir les 7 Couronnes s’embraser totalement. C’est à notre famille d’apparaître comme une valeur sûre en ces temps troublés…
Edmund soupira.
- Et d’éclairer la voie…
- Comme toujours, oui, nous devons le faire pour les bateaux à la dérive... Et ce royaume en est assurément un.
- Et Deria Allyrion ?
- Notre famille a eu des liens forts – et plus ou moins consentis - avec Dorne depuis ton arrière-grand-père… Les Allyrions feront de bons alliés, dès qu’ils auront fini la pacification de Dorne. Quant à la dame elle-même… Il va falloir que tu me fasses confiance, mon fils ! Je suis sûr qu’elle sera un grand secours pour gouverner : c’est une diplomate tenace et intelligente. Pour les côtés plus personnels, ce serait plus à ton oncle Elias ou ta tante Lysa de te les narrer… Mais je pense que votre mariage pourra être heureux. Son frère et moi espérons que vous pourrez vous rencontrer au plus vite.
Laswell se redressa sur la coursive pour s’apprêter à partir. Edmund le regarda à nouveau dans les yeux.
- Et mon mariage, alors ? Pas avant la fin de la guerre ?
- Tu ne préfères pas rencontrer ta fiancée d’abord ?
- Si, mais enfin, vous me comprenez…
- Eh bien, je n’ose imaginer la magnificence du mariage s’il marquait du même coup notre flamboyante victoire ! annonça le sire de la Grand-Tour avec une note positive.
- Je n’ose imaginer sa morosité s’il était célébré à la suite d’une monumentale défaite. rétorqua le fils du Phare avec un ton plus pondéré.
Laswell s’était levé et s’apprêtait à redescendre par le colimaçon. La nuit était tout à fait tombée, à présent, et le brasier luisait, chaud et rassurant, quelques pas au-dessus d’eux. Edmund perdait quelque peu son regard dans la nuit, et Laswell songea qu’il fallait sans doute lui laisser un peu de temps pour se faire à ces nouvelles plus ou moins plaisantes. D'un ton calme qui en était presque inquiétant, Edmund murmura :
- La lumière décroît, père… J’ai l’impression qu’une chape noire va s’abattre sur nous.
- Qu’elle vienne, mon fils. C’est uniquement dans les ténèbres que le Phare resplendit.
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